LE MONDE | 12.02.2014 à 11h47 • Mis à jour le 12.02.2014 à 12h41 | Pierre Le Hir
Dans le laboratoire de recherche souterrain de Bure.
Ce n'est pas un coup d'arrêt, mais un vigoureux coup de semonce. Le calendrier prévu pour la création, à Bure (Meuse), d'un centre d'enfouissement des déchets nucléaires français est trop précipité et ne permet pas de garantir la sûreté de l'installation. Telle est la conclusion de la Commission nationale du débat public (CNDP), une autorité administrative indépendante, dont le président, Christian Leyrit, a dressé, mercredi 12 février, le bilan de la consultation de la population, organisée sur le projet. Un dialogue exigé par la loi pour tout équipement d'intérêt national à fort impact socio-économique et environnemental.
Le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) est destiné à enterrer dans une couche d'argilite, à 500 mètres de profondeur, les 80 000 m3 de produits à haute activité ou à vie longue, générés par le parc nucléaire français actuel. Ils devront y rester confinés pendant des millénaires.
Un « cimetière radioactif » qui fait peur aux habitants de la région et auquel s'opposent de nombreuses associations, dont beaucoup ont boycotté le débat public. A l'étranger aussi, le projet est suivi avec attention. Des ministres allemands et luxembourgeois se sont récemment déclarés « critiques » et ont demandé davantage d'études de sécurité.
DÉLAIS « BEAUCOUP TROP SERRÉS »
L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), maître d'ouvrage, doit déposer en 2015 une demande d'autorisation de création du Cigéo, pour une mise en service en 2025. Des délais « beaucoup trop serrés », selon M. Leyrit. « On ne peut pas passer directement du laboratoire à l'exploitation industrielle, sans une phase de démonstration en vraie grandeur », estime-t-il. Il préconise donc « une étape de stockage pilote », afin de « garantir la capacité à maîtriser les risques », en particulier « le risque d'incendie ». Ce n'est qu'ensuite que serait prise la décision d'ouvrir, ou non, le site d'enfouissement.
Cette position rejoint celle de la conférence de citoyens – un panel de dix-sept « candides » – qui, début février, a jugé que le calendrier de l'Andra n'était « pas réaliste » et a demandé « la réalisation de tests en conditions réelles ». C'est aussi l'avis de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. « Il reste encore beaucoup de démonstrations de sûreté à faire, à vraie échelle, notamment sur l'impact du creusement des alvéoles sur le milieu géologique, explique François Besnus, directeur des déchets et de la géosphère. Il faut plus de temps. »
Au-delà du calendrier, la CNDP estime « urgent de restaurer un climat de plus grande confiance entre les citoyens, les experts, le maître d'ouvrage et les pouvoirs publics ». Elle trouve « dommageable l'attribution de marchés publics par l'Andra, en plein débat, comme si tout était déjà décidé ».
« LA VOIX DES CITOYENS DOIT ÊTRE ENTENDUE »
Et maintenant ? Les propositions de la CNDP n'ont pas force de prescription. Mais le maître d'ouvrage et les pouvoirs publics doivent, dans un délai de trois mois, faire connaître les suites qu'ils leur donneront. « Sur un projet comme celui-ci, on ne passe pas en force, insiste M. Leyrit. La voix des citoyens doit être entendue. »
« Le débat a mis en avant une demande forte de démarrage progressif avec des essais en conditions réelles, sous le contrôle de la société. C'était déjà notre démarche, mais nous allons faire des propositions pour mieux intégrer cette progressivité », assure Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Andra. La demande d'autorisation de création du Cigéo se ferait ainsi en plusieurs étapes, le dossier complet étant présenté « au plus tôt en 2017 ».
« TOUR DE PASSE-PASSE » LÉGISLATIF
En dépit de ce possible report, les « anti-Bure » ne désarment pas. D'autant que le gouvernement prévoit d'inscrire la question des déchets radioactifs et des procédures d'autorisation du Cigéo dans la loi sur la transition énergétique, qui devrait être débattue avant l'été. Dans une lettre ouverte au ministre de l'écologie, Philippe Martin, cinquante-cinq associations dénoncent « un tour de passe-passe » législatif. « A-t-on l'intention, s'inquiètent-elles, de glisser très discrètement le feu vert à l'enfouissement des déchets nucléaires les plus dangereux au sein d'une loi généraliste, en grillant les étapes officielles ? » La balle est désormais dans le camp du Parlement.