Le Monde.fr | 30.01.2014 à 09h05 • Mis à jour le 30.01.2014 à 10h00 | Par Mathilde Gérard
A Kiev, en Ukraine, le camp retranché de la place de l'Indépendance (Maïdan) est devenu en deux mois une véritable forteresse, avec ses codes et ses organisations ayant chacune un rôle bien défini. Le campement, au départ joyeusement désorganisé, s'est de plus en plus structuré.
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Les partis politiques d'opposition
De gauche à droite : Vitali Klitschko, Oleg Tiagnibok et Arseni Iatseniouk s'adressent aux manifestants, place de l'Indépendance.
Trois partis politiques se disputent, avec peine, le leadership de Maïdan. Le parti Oudar, dirigé par le champion de boxe Vitali Klitschko, est le plus en vue. Vitali Klitschko est le seul des trois chefs de l'opposition à se rendre régulièrement sur les barricades de la rue Hroushevskoho, là où ont lieu les affrontements les plus violents entre manifestants et forces de l'ordre, pour négocier des trêves. Mais Vitali Klitschko s'est vu infliger une humiliation de la part de Viktor Ianoukovitch, quand celui-ci a fait un geste ambivalent en direction de l'opposition, samedi 25 janvier, lui proposant un poste à l'intitulé rabaissant de « vice-premier ministre chargé des affaires humanitaires ».
Arseni Iatseniouk est l'autre interlocuteur privilégié par le pouvoir dans les négociations, mais ce proche de l'ex-première ministre Ioulia Timochenko est très critiqué par les manifestants de Maïdan. Le soir où le président lui a proposé le poste de premier ministre, M. Iatseniouk a créé la stupeur en déclarant à la foule qu'il était « prêt à prendre ses responsabilités », avant de se reprendre et d'expliquer qu'il ne croyait pas le président. Ce discours maladroit, auquel s'ajoute l'impression que le chef de parti ne défend pas suffisamment la cause de Ioulia Timochenko, toujours emprisonnée à Kharkiv, a affaibli son leadership.
Enfin, le dirigeant du parti ultranationaliste Svoboda, Oleg Tiagnibok, est dépassé par la radicalisation d'une grande partie des manifestants. Aucun poste ne lui a été proposé quand Viktor Ianoukovitch a formulé son offre à l'opposition, samedi, et le leader voit un grand nombre de ses sympathisants lui échapper pour se tourner vers les groupes plus extrémistes qui gardent les barricades de Maïdan.
Les groupes radicaux
Des milices d'autodéfense montée par le groupe d'extrême-droite Praviy Sektor.
Deux organisations sont à l'origine des actions coups de poing menées ces derniers jours : l'une, Praviy Sektor (« Secteur droite »), est une alliance de groupes d'extrême droite nationalistes ; l'autre, Spilna Sprava (« Cause commune »), aux contours plus flous, se veut une émanation de la société civile militant pour un « pouvoir redevable aux citoyens ». A la première, revient la tâche de défendre le camp face à un possible assaut policier ; à la seconde, de prendre et d'occuper des bâtiments publics, notamment les ministères.
Née au début du mouvement de contestation, Praviy Sektor regroupe plusieurs factions hétéroclites, à l'idéologie plus ou moins extrémiste : des supporteurs de football ultras aux monarchistes, en passant par les groupes de reconstitution historique et aux anciens combattants dans le Caucase. Praviy Sektor est à l'origine de l'occupation, le 1er décembre, de la Maison des syndicats, située sur la place de l'Indépendance et qui sert désormais de centre logistique au mouvement EuroMaïdan. Depuis, le groupe, qui s'est organisé en milices d'autodéfense et tient des séances d'entraînement quotidiennes sur la place de l'Indépendance, est chargé d'assurer la protection du campement.
Spilna Sprava, de son côté, est une organisation moins militarisée, mais à l'idéologie très patriotique. Son objectif est d'occuper des bâtiments publics, sans violence. « Rester sur une place publique, ce n'est pas une révolution, c'est une manifestation. Occuper un bâtiment public, c'est un acte de résistance », justifie son responsable, un avocat de 30 ans, Oleksandr Danyliuk. Après plusieurs prises symboliques, l'organisation a toutefois dû se retirer lundi du ministère de la justice, et mercredi, du ministère de l'agriculture, face aux menaces du pouvoir de décréter l'état d'urgence.
Lire le reportage : Kiev, une capitale au bord de la « guerre civile »
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Les services d'aide
D'autres groupes sont chargés d'apporter de l'aide aux manifestants. Très actifs, les automobilistes d'AutoMaïdan patrouillent aux abords du centre-ville de Kiev pour éloigner les titouchkis (casseurs rétribués). Ils assurent également le transport des blessés vers les hôpitaux et amènent de l'essence sur les barricades pour la fabrication des cocktails Molotov. Très exposés quand ils sont dans la périphérie de Kiev, plusieurs automobilistes ont raconté avoir été violemment chassés par les forces de l'ordre. Ces exactions ont pour la plupart été documentées par des vidéos, car les membres d'AutoMaïdan filment chacune de leurs patrouilles.
Lire des témoignages de manifestants racontant la brutalité policière
http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/01/23/a-kiev-des-manifestants-racontent-la-brutalite-policiere_4353672_3214.html
EuroMaïdan SOS est chargé de l'aide juridique aux protestataires. L'organisation assiste notamment les personnes arrêtées par la police. « On cherche les avocats et députés qui pourraient les assister dans leurs démarches, raconte Alissa Novitchtschkova, politologue et membre d'EuroMaïdan SOS. Quand une famille nous sollicite car elle est sans nouvelle d'un proche, nous cherchons également à le localiser en tentant d'établir la liste des personnes arrêtées et leurs lieux de détention provisoire. » L'organisation distribue régulièrement des feuillets d'information sur la place de l'Indépendance avec numéros d'appel d'urgence et conseils : elle recommande notamment aux blessés de ne pas monter dans les ambulances publiques et de préférer les taxis ou ambulances privées pour se rendre dans les cliniques.
Des secouristes volontaires transportées une blessée dans des heurts avec les forces de l'ordre, lundi 20 janvier à Kiev.
Les services médicaux d'EuroMaïdan (médecins, infirmiers et volontaires qui assurent les premiers secours) jouent un rôle essentiel, surtout depuis que de nombreux témoignages ont fait état d'arrestations de blessés dans des hôpitaux publics. Mercredi 22 janvier, les locaux médicaux tenus par l'opposition près des barricades ont été attaqués par les forces de l'ordre, contraignant les médecins à improviser de nouveaux hôpitaux de campagne. Face aux craintes d'enlèvements de blessés dans les hôpitaux publics, des appartements ont notamment été réquisitionnés pour y monter des centres de soin clandestins.
Un village organisé
Une militante distribue de la nourriture aux protestataires qui tiennent les barricades de Maïdan, à Kiev, mardi 28 janvier.
Au fil des semaines, la vie quotidienne s'est organisée sur Maïdan, qui fonctionne comme une société miniature. Véritable village, on y trouve des tentes tenues par des syndicats, des espaces de débat, des galeries d'art... L'immense Maison des syndicats, située directement sur la place de l'Indépendance, sert de base logistique : il s'agit d'une fourmilière de plusieurs étages où l'on trouve un centre médical, un centre de presse (où les journalistes peuvent quotidiennement se faire accréditer), des salles de conférence, ainsi qu'une cantine. Des militants (le plus souvent des militantes) font régulièrement la tournée de la place et des barricades avec des plateaux de sandwichs ou de soupe, distribués gratuitement. L'alcool est interdit sur la place de l'Indépendance et les contrevenants à cette règle sont immédiatement repérés par la foule et sortis du campement.
Aux entrées de la place, des urnes sont installées pour récupérer les dons des passants. Ils servent notamment à financer le matériel médical et la nourriture, mais l'organisation de Maïdan compte surtout sur le soutien financier de quelques grandes fortunes, notamment celle de l'ex-ministre des affaires étrangères Petro Poroshenko, opposant notoire de Viktor Ianoukovitch, qui a également promis de financer la reconstruction du stade du Dynamo Kiev, en partie détruit par les émeutes.
Enfin, Maïdan a son « commandant », Andriy Parubiy, un député membre du parti Svoboda, qui assure la coordination entre les différentes composantes de la mobilisation – Praviy Sektor, Spilna Sprava, partis d'opposition – et leur attribue leurs missions respectives.
Voir aussi notre analyse en vidéo : Une sortie de crise est-elle encore possible en Ukraine ?
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