Le Monde.fr | 20.01.2014 à 13h54 • Mis à jour le 20.01.2014 à 14h49 | Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Les Vingt-Huit pourraient accepter dès le mois de février le principe de pourparlers en vue de conclure un accord bilatéral avec Cuba.
L'Union européenne a décidé de lancer un processus visant à normaliser ses relations avec Cuba, gelées depuis 1996, lorsque fut adoptée une « position commune » soumettant toute reprise d'un dialogue institutionnel avec La Havane à une évolution dans le domaine des droits de l'homme et à l'instauration d'une démocratie pluraliste. Actant tout à la fois l'échec de cette politique, imposée à l'époque par le premier ministre conservateur espagnol José Maria Aznar, et l'évolution du régime dirigé par Raul Castro, les Vingt-Huit pourraient accepter dès le mois de février le principe de pourparlers en vue de conclure un accord bilatéral. Il pourrait entrer en vigueur en 2015.
Les pays européens les plus hostiles à un rapprochement ont levé leurs objections, ce qui permet de premières discussions « techniques ». La Pologne et la République tchèque se disent rassurées parce la question des droits de l'homme restera « au cœur du mandat confié à la Commission », comme le dit un diplomate tchèque. La Suède et les Pays-Bas, longtemps réservés, appuient également la démarche.
« RÔLE À JOUER ENTRE L'EUROPE ET LES AMÉRIQUES »
En visite à La Havane, Frans Timmermans, le chef de la diplomatie néerlandaise, avait estimé, le 7 janvier, qu'il était temps, pour l'UE, d'« actualiser ses relations avec Cuba sur la base des développements en cours ». Selon le ministre, l'île a « toujours un rôle à jouer entre l'Europe et les Amériques ».
Le revirement européen date, en réalité, de novembre 2012 et le processus s'accélère depuis quelques mois compte tenu des réformes enclenchées par Raul Castro. Le Service européen d'action extérieure relève, notamment, une nouvelle réglementation des voyages à l'étranger qui accroît, dit Bruxelles, la liberté de mouvement des citoyens, l'accès plus libre à Internet, ou la limitation dans le temps de l'exercice de certains mandats publics. La diplomatie européenne salue également des ajustements économiques, comme la création de coopératives privées, la possibilité d'exercer une activité indépendante ou quelques mesures facilitant les investissements étrangers – sans que ceux-ci fassent toutefois l'objet d'une loi à ce stade.
Plusieurs diplomates interrogés confirment qu'il s'agit, pour l'Europe, de ne pas être écartée d'un éventuel processus de démocratisation qui pourrait avoir d'intéressantes implications économiques. Premier investisseur à Cuba et deuxième partenaire commercial (derrière le Venezuela), l'Europe exporte des biens vers Cuba à hauteur de 2 milliards d'euros et fournit aussi plus de la moitié du contingent des touristes qui débarquent sur l'île chaque année.
« NOUS TENONS LE BON BOUT, NE LE LÂCHONS PAS »
« Nous tenons le bon bout, ne le lâchons pas », résume ironiquement un ambassadeur, qui rappelle la récente poignée de main entre M. Castro et le président américain lors des funérailles de Nelson Mandela, suivie de déclarations de Barack Obama indiquant qu'il était peut-être temps, pour Washington, de revoir ses relations avec Cuba. « Cela a influé sur la position de certaines capitales », confirme cette source bruxelloise. Les Etats-Unis ont décrété, en 1962, un embargo qui ne fut que partiellement allégé en 2001.
Poignée de main historique entre Barack Obama et le président cubain Raul Castro, sous les yeux de Dilma Rousseff, présidente du Brésil, lors de l'hommage à Mandela, le 10 décembre 2013.
Il reste la question, non résolue, des droits de l'homme. « Notre position commune, en fait, n'a servi à rien et était devenue une aberration », commente un diplomate de haut rang. Cet outil diplomatique réclamé par Madrid – fortement encouragée par Washington à l'époque – ne s'applique plus désormais qu'au régime castriste et… à Al-Qaida. Il n'a jamais concerné l'Iran, le Zimbabwe ou d'autres dictatures contre lesquelles avaient pourtant été décrétés un embargo ou d'autres sanctions.
Il est, en outre, totalement dépassé par les faits puisque, depuis 2008, une quinzaine d'Etats européens – dont la France – ont signé des accords bilatéraux avec Cuba. C'est à ce moment que l'Union, qui a par ailleurs continué à allouer à l'île des aides humanitaires et des fonds pour le développement, a repris un dialogue qui avait été totalement rompu en 2003, à la suite de l'incarcération de 75 dissidents – tous libérés depuis – et l'exécution des trois preneurs d'otages d'une embarcation.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Journaliste au Monde