Le Point.fr - Publié le 19/01/2014 à 09:37
Bouteflika, très affaibli, pourrait ne pas se représenter. Une ère d'incertitude s'ouvre, où l'armée n'est plus forcément la seule faiseuse de rois.
Abdelaziz Bouteflika reçoit son premier ministre Abdelmalek Sellal (à droite) en juin 2013 lors de son hospitalisation à Paris. © AFP/APS
L'élection présidentielle algérienne aura lieu le 17 avril. Abdelaziz Bouteflika, rentré du Val-de-Grâce à Paris aussi discrètement qu'il était parti - sans que personne le voie, et surtout pas les journalistes -, a signé, le 17 janvier, le décret convoquant le corps électoral dans 90 jours.
Alger est parcourue de rumeurs : le président algérien va-t-il se présenter pour un quatrième mandat ? Le veut-il ? Le peut-il depuis l'AVC qui l'a obligé à rester près de trois mois dans un hôpital parisien ? À l'exception du FLN, le parti au pouvoir, très divisé, qui l'a choisi comme candidat, personne n'y croit. On dit que les puissants services de sécurité ne le veulent pas.
Abdelaziz Bouteflika, lui, reste silencieux. Légalement, comme les autres aspirants présidents, il dispose de 45 jours pour présenter sa candidature et recueillir 60 000 signatures de grands électeurs répartis dans 25 des 48 wilayas (régions). Il est au pouvoir depuis 1999, et les Algériens aspirent en majorité au changement. Ils veulent que le pays évolue et se modernise. Ils se souviennent d'une déclaration que le chef de l'État avait faite lors de son dernier discours officiel prononcé en mai 2012, à Sétif. "Notre génération a fait son temps", avait-il déclaré.
LIRE notre article "Et si Bouteflika ne se présentait pas"
http://www.lepoint.fr/monde/algerie-et-si-bouteflika-ne-se-presentait-pas-17-01-2014-1781514_24.php
Incertitude
Une petite phrase qui semblait signifier qu'il ne souhaitait pas se représenter. D'autant plus que c'était avant son problème de santé et qu'il est aujourd'hui physiquement diminué. Il n'a convoqué qu'à deux reprises le conseil des ministres depuis son retour du Val-de-Grâce le 16 juillet, mais, pour être honnête, il n'en a réuni que très peu durant tout son troisième mandat. L'actuel chef du gouvernement, Abdelmalek Sellal, fait tourner le pays, apparemment au ralenti.
Mais, faute d'informations sérieuses sur son état de santé, les spéculations vont bon train. Les Algériens constatent juste que le président, invisible, reçoit peu, à l'exception du chef d'état-major et du ministre des Affaires étrangères. Il voit aussi les chefs d'État et les visiteurs étrangers qui viennent à Alger. Ainsi, il a reçu Jean-Marc Ayrault et Bertrand Delanoë, le maire de Paris. Mais les journalistes sont soigneusement tenus à l'écart, Abdelaziz Bouteflika ayant des difficultés à se déplacer et parlant à voix basse. Les Algériens se demandent donc comment le chef de l'État pourrait assumer une nouvelle campagne électorale, même a minima.
Qui pourrait donc lui succéder ? Trois mois avant l'élection présidentielle, l'incertitude - et partant l'inquiétude des Algériens - n'a jamais été aussi grande. Car, pour une fois, c'est le saut dans l'inconnu. Les candidats sont nombreux - ils sont déjà une dizaine en lice -, mais deux semblent, dans l'immédiat, les mieux placés.
Une situation inédite
Le premier est Abdelmalek Sellal, actuel Premier ministre. Il serait le candidat du président et de la "famille", c'est-à-dire les deux jeunes frères d'Abdelaziz Bouteflika, en particulier Saïd, conseiller spécial à la présidence et véritable numéro deux du pays. Mais le Premier ministre aurait un handicap : il n'aurait pas le soutien de toute l'armée, en particulier des officiers supérieurs les plus jeunes.
Deuxième candidat de poids : Ali Benflis. Ce n'est pas un inconnu. Avocat, magistrat, il fut ministre de la Justice et Premier ministre de Bouteflika de 2000 à 2003. Il fut même son directeur de campagne en 1999, lorsqu'Abdelaziz Bouteflika revint en politique après sa longue traversée du désert. Benflis a un handicap : lors de la présidentielle de 2004, alors que Bouteflika se présentait pour un second mandat, il fut son rival. Une partie de l'armée le soutenait, au moins au début. Bouteflika ne le lui a jamais pardonné. Benflis n'a remporté que 6,4 % des voix, mais depuis, pour le chef de l'État, il est devenu le candidat à abattre. "Bouteflika préférera se présenter à un quatrième mandat plutôt que de prendre le risque de voir Benflis lui succéder", affirme un bon observateur de la classe politique algérienne. L'avenir le dira. Dans l'immédiat, Ali Benflis a décidé d'annoncer sa candidature le 19 janvier. Et son état-major de campagne est fin prêt pour gagner la présidentielle. Mais, en Algérie, ce n'est pas nécessairement suffisant.
"Nous sommes cependant dans une situation inédite", explique un journaliste algérien. Pour la première fois, on a l'impression que l'armée ou les services ne seront pas les faiseurs de rois comme par le passé. Ils n'ont plus la légitimité d'autrefois."
Un vent nouveau venu de la diaspora
En fait, d'autres candidats de poids pourraient surgir. Ahmed Ouyahia, Premier ministre à deux reprises (jusqu'en 2012), est l'un d'eux. Il serait en concurrence directe avec Sellal. De même, Mouloud Hamrouche, Premier ministre réformiste des années 90, aurait un temps songé à se présenter. Il est un des rares à avoir la volonté de moderniser le pays. Mais il a aussi un handicap : ancien militaire, il est celui qui a voulu mettre les services au pas. Ils ne l'ont probablement pas oublié, même si l'histoire a près d'un quart de siècle.
Il y a pourtant une nouveauté dans cette période préélectorale algérienne : pour la première fois, trois candidats sont des binationaux issus de la diaspora. Deux sont des banquiers. L'un, Kamel Benkoussa, est né à Charleville-Mézières et gère aujourd'hui un fonds d'investissement à la City de Londres. L'autre, Ali Benouari, banquier et ancien ministre du Trésor des années 90, est président d'un établissement bancaire de conseils aux entreprises à Genève. Ils ne gagneront pas (et devront abandonner leur autre nationalité pour être candidat), mais ils devraient permettre de dépoussiérer un peu la campagne électorale en apportant des thématiques modernes. En attendant leur tour.