En Egypte, le référendum vire au test de popularité pour le général Al-Sissi
LE MONDE | 13.01.2014 à 15h04 • Mis à jour le 14.01.2014 à 09h50 | Marion Guénard (Le Caire, correspondance)
Pour ou contre le général Al-Sissi ? Compte tenu de la tension qui règne en Egypte, le référendum sur la Constitution, organisé mardi 14 et mercredi 15 janvier, s'apparente à un vote sur l'action du nouvel homme fort du pays, le général Abdel Fattah Al-Sissi, ministre de la défense. Confronté à la contestation des milieux islamistes et à une multiplication des attaques contre ses forces de sécurité, le pouvoir égyptien, issu du coup d'Etat du 3 juillet, espère, à la faveur de ce scrutin, obtenir un blanc-seing.
Transport des bulletins de vote pour le référendum des 14 et 15 janvier, lundi 13 janvier au Caire.
Un « oui » massif marquerait non seulement l'adhésion de la population à la répression en cours contre les Frères musulmans, mais signalerait aussi son soutien à une candidature de M. Al-Sissi à la prochaine présidentielle. « Il fait du référendum un plébiscite personnel », résume Mostafa Kamel Al-Sayyid, professeur de sciences politiques au Caire.
Six mois après le renversement par l'armée du président Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans – destitution accompagnée d'une suspension de la Constitution en vigueur –, 53 millions de citoyens sont invités à s'exprimer sur une version modifiée du texte constitutionnel adopté il y a un an, alors que les islamistes étaient à la tête du pays.
Conformément à la feuille de route établie par les militaires en juillet 2013, le document a été élaboré par un panel de 50 personnalités représentant les différentes composantes de la société égyptienne. A la différence de l'assemblée constituante sous les Frères musulmans, qui était formée en majorité d'islamistes, ce comité n'en comptait que deux dans ses rangs : un ex-Frère musulman et un salafiste du parti El-Nour.
LES TRIBUNAUX MILITAIRES MAINTENUS
Bien que moins islamisante dans son esprit, cette nouvelle version reste largement inspirée de la Constitution de 2012. L'article 2 faisant de la charia (la loi islamique) la principale source du droit a été conservé. La nouvelle mouture ne s'attaque pas plus aux prérogatives des militaires que le texte voté sous M. Morsi. Le budget de l'armée demeure hors du contrôle du Parlement. L'article 234 confère au Conseil suprême des forces armées le pouvoir de nommer le ministre de la défense durant les deux prochains mandats présidentiels. Les tribunaux militaires sont maintenus sous certaines conditions.
Durant les quatre semaines de campagne, le nouveau régime n'a pas économisé ses efforts. Un immense panneau vert surplombe la place Tahrir, au centre du Caire, avec un seul mot d'ordre : « nââm », oui en arabe. Dans le reste de la capitale, il n'est pas une rue sans affiche rappelant au citoyen cette consigne de vote. Les médias – tous ou presque acquis à l'armée, qu'ils soient gouvernementaux ou privés – ont relayé le message, avec un argument simple : voter oui, c'est voter pour la stabilité politique et économique.
« Je me fous de savoir qui a écrit la Constitution, explique Akram Maher, un bawab (gardien d'immeuble) de 48 ans. Je veux juste que la situation du pays s'améliore. Il paraît que le texte se préoccupe du sort des plus pauvres. Je vais voter oui. » Analphabète, comme plus d'un quart de la population en Egypte, il n'a pas lu la Constitution mais s'est tenu informé en regardant la télévision.
La campagne référendaire a également surfé sur la diabolisation des Frères musulmans, à l'oeuvre depuis la destitution de Mohamed Morsi. Classés « organisation terroriste » depuis la fin décembre, ils sont présentés comme l'ennemi intérieur, à l'origine de tous les maux auxquels le pays est confronté.
« ON A BESOIN D'UN MILITAIRE POUR TENIR LE PAYS »
Sauf surprise, le oui devrait donc l'emporter. Mais à quelle hauteur ? C'est la question de la légitimité d'un régime issu d'un coup d'Etat militaire qui est en jeu. « La Constitution des Frères musulmans avait obtenu 63 % des voix, avec un taux de participation à 32 %. Le pouvoir actuel est dans l'obligation de faire autant si ce n'est plus s'il veut asseoir sa légitimité », souligne le professeur Mostafa Kamel Al-Sayyid.
Depuis plusieurs semaines, la presse alimente les rumeurs sur une éventuelle candidature à la présidentielle du général Abdel Fattah Al-Sissi, présenté comme le sauveur de la nation depuis le renversement des Frères musulmans. Des allusions systématiquement démenties par l'armée jusqu'à ce que l'intéressé, samedi 11 janvier, lève un peu le voile sur ses ambitions. Répondant à une question sur la présidentielle, en marge d'une conférence, il a déclaré : « Quand les Egyptiens disent quelque chose, nous obéissons, et je ne tournerai jamais le dos à l'Egypte. Si je participe, ce sera à la demande du peuple et avec un mandat de mon armée. Nous sommes en démocratie. »
Après des semaines de spéculations, la petite phrase a été reprise en boucle dans les médias égyptiens. Pour la plupart des observateurs, le message est clair : Sissi veut être candidat mais sa candidature reste conditionnée à un taux de participation élevé. L'argument porte dans l'opinion publique. « Ce n'est pas tant la Constitution qui importe que le président qu'on aura ensuite. Morsi n'était pas à la hauteur. On a besoin d'un militaire pour tenir le pays », assure Abdel Halim, un chauffeur de taxi.
Dans le sillage de l'armée, l'écrasante majorité de la classe politique appelle à voter oui au référendum. Les Frères musulmans ont choisi le boycott, ne reconnaissant pas la légitimité du régime militaire. Certaines voix au sein de l'alliance anti-coup, emmenée par la confrérie, ont menacé de perturber le scrutin, en manifestant devant les bureaux de vote.
Le nouveau régime a prévenu tout risque de débordement. 160 000 soldats et 100 000 policiers devraient être déployés pour sécuriser le scrutin. Soucieuse de montrer son attachement à la démocratie, la Haute Commission électorale a affecté 16 000 juges à la surveillance des opérations de vote. Les magistrats affiliés aux Frères musulmans ont été d'emblée écartés.
Marion Guénard (Le Caire, correspondance)
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Gaz lacrymogènes contre les manifestants pro-Morsi
La police égyptienne a tiré des gaz lacrymogènes pour disperser trois manifestations d’étudiants organisées, dimanche 12 janvier au Caire, en soutien au président islamiste destitué par l’armée en juillet 2013, Mohamed Morsi. Des heurts ont eu lieu devant l’université du Caire, de même que devant les universités Al-Azhar et Ain Shams, ont indiqué des responsables de la sécurité, en précisant que 19 étudiants, dont quatre femmes, avaient été arrêtés.