LE MONDE | 15.01.2014 à 10h53 • Mis à jour le 15.01.2014 à 14h49 | Par Mathilde Gérard et Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Dans un centre géré par Action contre la faim, à Mogadiscio (Somalie), en 2011.
L'office humanitaire de la Commission européenne (ECHO, European Commission Humanitarian Office) est-il menacé ? La multiplication ou l'amplification, en 2013, des crises (Mali, Syrie, Centrafrique, Philippines…) a eu des conséquences très directes pour son équilibre financier. La rumeur d'un risque de faillite court depuis qu'une consigne administrative a invité les agents de cet organe, début janvier, à vérifier le degré d'urgence des projets soumis, en vue d'une probable réduction des budgets. Une catastrophe pour un grand nombre d'organisations non gouvernementales, car ECHO, l'un des principaux bailleurs de fonds de l'aide humanitaire dans le monde, travaille avec quelque 200 partenaires dans 140 pays.
En 2013, l'organisation a dû dépasser d'environ 300 millions d'euros son budget annuel d'un milliard d'euros. Conséquence : des retards de versement et une baisse des autorisations de paiement. « Pas de panique, la situation est difficile mais bien identifiée, nuance Claus Sorensen, le directeur général d'ECHO. Des paiements ont été étalés, ce qui a créé du stress chez certaines ONG. La crise n'arrange rien mais nous sommes proches d'un accord et l'argent nécessaire devrait arriver. »
LES PROGRAMMES DE PRÉVENTION MENACÉS
Mais pour les ONG, l'alarme est réelle. A chacune, il a été demandé de travailler sur la base d'un financement réduit de 50 %, dans l'attente d'une éventuelle rallonge budgétaire en cours d'année. « Sur le terrain, consigne a été donnée, via les représentants de l'organisme, de se recentrer sur les activités prioritaires, celles qui sont vitales pour les populations, au détriment des actions de prévention », explique Serge Breysse, un membre de la direction d'Action contre la faim, dont 30 % du budget dépend d'ECHO. Les volets sociaux des programmes d'aide, en matière d'éducation ou d'aide alimentaire, sont particulièrement menacés.
« Nous avons dû identifier l'urgent et… le super-urgent, reconnaît M. Sorensen. Mais une fois les difficultés budgétaires réglées, nous ressortirons du réfrigérateur tous les contrats. » Il pourrait toutefois s'agir d'un mauvais calcul à terme, dénonce Action contre la faim, car les actions de prévention non menées dans les prochaines semaines pourraient aggraver la situation humanitaire sur de nombreux terrains.
Distribution d'aide humanitaire au Sri Lanka.
L'impact s'annonce massif pour les petites structures, qui ont peu de réserves de liquidité. Alima, une organisation active dans sept pays du Sahel, financée à 70 % par ECHO, a calculé qu'elle ne pourra être présente que dans vingt centres de santé au Niger, contre vingt-cinq l'an dernier. « Pourtant, nos activités concernent essentiellement le traitement de la malnutrition sévère aiguë et sont donc prioritaires », relève le directeur général d'Alima, Augustin Augier. Cette année, ce sont 20 000 cas de malnutrition sévère aiguë que l'organisation ne pourra pas prendre en charge. Et les autres programmes menés par cette ONG (traitement du paludisme, hospitalisations pédiatriques) risquent tout simplement d'être supprimés. « Le retard de paiement est dramatique car nos bénéficiaires ont besoin de notre aide dès maintenant », s'inquiète M. Augier.
« ON NE JOUE PAS À CE JEU-LÀ AVEC DES CRÉDITS D'URGENCE »
Depuis plusieurs jours, les ONG tentent d'impliquer les pouvoirs publics nationaux et européens sur ce dossier. A Paris, le ministère des affaires étrangères a été alerté, notamment sur les risques pesant sur les programmes en Syrie. L'eurodéputé Alain Lamassoure (UMP), président de la commission du budget du Parlement européen, explique qu'il est « tombé des nues » après une rencontre avec plusieurs organisations, d'autant que le Parlement a voté une augmentation des crédits de l'aide humanitaire de 7 % pour 2014 : « Il n'y a aucune raison pour qu'ECHO réduise ses financements. Quand on parle de crédits d'urgence pour l'aide humanitaire, on ne joue pas à ce jeu-là. »
Du côté de la Commission européenne, on nie toutefois les difficultés de trésorerie. David Sharrok, porte-parole de Kristalina Georgieva, commissaire à l'aide humanitaire et à la coopération, évoque « des problèmes en voie de résolution » et dément toute perspective de réduction du budget du bureau humanitaire. Pourtant, même si ECHO parvenait finalement à trouver une solution, les ONG regrettent les atermoiements de l'organisme. « L'aide humanitaire est un des rares domaines dans lesquels l'UE a montré sa capacité à agir de façon coordonnée et efficace, souligne Serge Breysse, d'Action contre la faim. ECHO est un acteur sérieux et reconnu dans ce secteur, c'est dommage d'en arriver là. »
Une réunion a eu lieu, à Bruxelles, lundi 13 janvier. Elle aurait confirmé la « volonté politique » de consolider le budget de l'aide humanitaire, mais n'a pas permis d'indiquer quand le déficit de l'agence serait comblé. Il faudra peut-être trouver les montants dans d'autres secteurs. Ou lancer un appel aux Etats membres et au Parlement.