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Centrafrique : une cascade d'interventions françaises au royaume du père Ubu
Mis à jour le 06/12/2013 à 10:58 - Publié le 06/12/2013 à 08:18
Un soldat français devant l'aéroport de Bangui, le 1er décembre 2013.
L'opération Sangaris, déclenchée par l'armée française en Centrafrique, rappelle de précédentes opérations de l'ancienne puissance coloniale dans un pays où coups d'État et présidents fantasques se sont succédés depuis 1960.
Pays né sous un mauvais signe, la République centrafricaine a perdu en 1959 son premier président et père fondateur, Barthélemy Boganda, dans un accident d'avion toujours objet de controverses, et depuis semble voué aux catastrophes.
L'Oubangui-Chari était la colonie de l'Afrique équatoriale française la moins prisée, et les gouverneurs ne s'y attardaient guère (27 entre 1906 et 1960, soit en moyenne un tous les 2 ans). À un rythme moins soutenu mais régulier, les troupes françaises sont intervenues ces 53 dernières années en République centrafricaine (RCA), pour écarter, introniser ou sauver les représentants, souvent délirants, de cet État parmi les plus pauvres. En 1979, les opérations Caban et Barracuda ont exfiltré l'empereur Bokassa 1er et réinstallé un précédent président, David Dacko. Au printemps 1996, par trois fois, les militaires de l'opération Almandin viendront sécuriser le pouvoir contesté par des mutins, et préservé les ressortissants français et européens. En 2007, les parachutistes sautent sur Birao, dans le nord de la Centrafrique, où se multiplient les mouvements rebelles influencés par le Soudan et le Tchad voisins.
C'est de ce nord musulman qu'est venue en décembre 2012 l'offensive de la Séléka («l'alliance» en Sango, l'autre langue officielle avec le Français) qui porta au pouvoir Michel Djotodia, le 24 mars dernier. Après avoir vainement appelé à l'aide la France, le président Bozizé n'eut d'autre solution que la fuite, suivant en cela le sort qu'il avait réservé à son prédécesseur.
À peu près tous les dix ans, un président de la RCA chasse l'autre, par un coup d'État, avec l'appui ou l'assentiment de la France. Les caisses de ce pays de moins de 5 millions d'habitants demeurant désespérément vides, ses dirigeants, sa soldatesque et ses rebelles ont multiplié les pillages et massacres, en exacerbant les conflits ethniques et religieux entre musulmans et chrétiens.
1960-1965: David Dacko
Élu un an plus tôt, David Dacko ne devient véritablement président que le 13 août 1960, jour où la Centrafrique accède à l'indépendance. L'ancienne puissance coloniale a dépêché André Malraux à Bangui, qui s'exclame: «Voici donc que ce jour de fraternité s'achève et devient l'histoire. Bientôt va s'élever la salve solennelle qui salue l'indépendance des peuples et qui retentira dans la mémoire de vos enfants comme celle qui saluait jadis la descente des rois. Salut jeune République dont la joie est la nôtre!»
Le nouveau président Dacko commence par faire arrêter son principal opposant, Abel Goumba, avant de faire voter une loi constitutionnelle instituant le règne du parti unique, auquel tout citoyen se doit d'adhérer. Dacko perd le pouvoir lors d'un coup d'État fomenté par Jean-Bedel Bokassa.
1965-1979: Jean-Bedel Bokassa
Au départ, Jean-Bedel Bokassa n'est que président à vie de la République, président du gouvernement, président à vie et secrétaire général du parti unique, Garde des sceaux, ministre de la Défense nationale, des Anciens combattants et des victimes de guerre, ministre de la Fonction publique, de la Sécurité sociale, du Commerce, de l'Industrie et des mines, ministre des PTT et ministre de l'Information. Il procède néanmoins à 44 remaniements ministériels en dix ans, avant de trouver la solution constitutionnelle: le 4 décembre 1977, l'ancien sous officier de l'armée française devient l'empereur Bokassa 1er.
Le ministre français de la Coopération assiste à cette cérémonie censée reproduire les fastes du sacre de Napoléon 1er. Le nouvel empereur de Centrafrique apparaît dans un carrosse racheté au producteur de la série télévisée française Caroline Chérie. Peu habitués à la chaleur, plusieurs des chevaux normands tirant ce carrosse meurent sur le trajet, contraignant Bokassa à terminer à pied son ascension vers la gloire. L'orchestre joue «les Chevaliers de la table ronde» à l'entrée de la cathédrale. Puis dans une salle de sport réaménagée, l'empereur s'assied enfin sur un trône en bois doré surmonté d'un aigle géant, parmi les plumes blanches et l'hermine rouge.
En 1979, l'armée française débarque Bokassa, qui vient de faire tirer sur les écoliers manifestant contre l'obligation de porter des uniformes hors de prix. Bokassa termine sa vie dans son château d'Hardricourt, dans les Yvelines, en 1996. Il laisse derrière lui «l'affaire des diamants» (à la veille de la campagne présidentielle de 1981, Valéry Giscard d'Estaing fut accusé par le Canard Enchaîné d'avoir reçu de cet empereur des diamants), et des rumeurs sur son cannibalisme.
1979-1981: retour de David Dacko
David Dacko revient dans un avion Transall de l'armée française. Il n'accepte de descendre de l'appareil posé sur une piste de l'aéroport de Bangui, que lorsqu'il entend RFI annoncé son retour officiel au pouvoir. Le nouveau président commence par instituer le règne du parti unique. Il se reprend, accepte le multipartisme, une élection présidentielle. Ayant bien fraudé, Dacko est certes élu, mais face aux troubles qui se multiplient, il fait imprudemment appel à l'armée. La Centrafrique connaît un nouveau coup d'État.
1981-1993: André Kolingba
Pendant 12 ans, le général Kolingba impose sa dictature, qui bénéficie surtout à son ethnie, les Yakomas. À ses côtés, le colonel Mansion, proche des services secrets français, à la main sur toutes les affaires sensibles.
1993-2003: Ange-Félix Patassé
La seule élection présidentielle honnête de l'histoire de la Centrafrique porte au pouvoir un dingue: Ange-Félix Patassé. Formé sous Bokassa, dont il organisa la cérémonie impériale, cet ingénieur agronome assurait pouvoir nourrir la population avec des épis de maïs énormes, dont il aurait trouvé la formule miraculeuse. Il veut détourner les eaux de l'Oubangui vers le lac Tchad. Un ambassadeur étranger, hôte d'un conseil des ministres, se souvient de l'avoir vu monter sur la table et crié dans une imitation de primate: «On va tous vous manger». À mesure qu'avance sa présidence, Patassé n'avoue plus seulement entendre des voix célestes, mais confie dialoguer directement avec Dieu. Un coup d'Etat met fin à sa présidence.
2003-2013: François Bozizé
Fidèle à une tradition centrafricaine, le général Bozizé se nomme ministre de la Défense, des Anciens combattants, des Victimes de guerre, du désarmement et de la restructuration de l'armée. Son fils, Francis, est son secrétaire d'État sur ces mêmes domaines ministériels. Durant ses mandatures, le président n'oublie pas son ethnie Gbaya, mais privilégie sa famille. Son neveu est un temps ministre des Finances. Sa femme, Monique, est élue député, comme deux de ses fils. Une rébellion met fin à son règne.
Août 2013: Michel Djotodia
Premier président musulman de la Centrafrique, Michel Djotodia, arrivé dans les bagages armés des rebelles de la Séléka, prête serment le 18 août. Pour cette cérémonie, il porte une ribambelle de décorations en toc, payées des dizaines de milliers d'euros. Les caisses de l'Etat étant toujours vides, les combattants de la Séléka mettent à sac Bangui. Pillages et massacres jettent à nouveau la Centrafrique dans l'abîme.