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Vincent Peillon, au rythme des grèves
Mis à jour le 13/11/2013 à 20:42 - Publié le 13/11/2013 à 20:38
Vincent Peillon, ministre de l'Éducation nationale et Pierre Moscovici, ministre de l'Économie, lors d'un Conseil des ministres, le 13 novembre.
Le ministre avait tous les atouts pour réussir. Aujourd'hui, parents et enseignants contestent ses méthodes. De son côté, Jean-François Copé a lancé l'offensive, en annonçant qu'il allait réunir 400 élus avant le discours de Jean-Marc Ayrault devant les maires de France.C'est l'histoire d'un ministre qui avait tout pour réussir. Des moyens considérables - 60.000 postes et une priorité présidentielle affichée sur l'éducation -, une posture de sauveur après les suppressions de postes menées par la droite et une incontestable aura, y compris auprès des plus conservateurs qui ont su apprécier ses élans républicains.
Pourquoi, un an et demi après son arrivée rue de Grenelle, une telle cacophonie autour de sa réforme des rythmes scolaires? Le ministre paye à la fois ses erreurs originelles faites d'annonces intempestives - à peine arrivé, il annonçait le retour de la semaine de quatre jours et demi - et son actuelle raideur face aux critiques. Tandis qu'à l'approche des municipales, les élus, appelés à organiser et financer en partie les activités périscolaires, font entendre de plus en plus distinctement leur grogne.
- Citation :
- «Le déni de réalité de la Mairie de Paris et le mutisme du rectorat ne sont plus tolérables»
Jérôme Lambert
Cette semaine, la réforme aura mobilisé contre elle l'ensemble des acteurs de la communauté éducative, des animateurs parisiens, qui ont hérité du nouveau temps périscolaire dégagé par le décret Peillon, aux parents qui, ici et là, ont boycotté ce mercredi matin désormais travaillé, aux enseignants qui se mobilisent aujourd'hui. À Paris, le rectorat annonce 52,9% d'intentions de grève, quand le SNUipp Paris, premier syndicat du primaire, compte 150 écoles fermées et 70% de grévistes. «Le déni de réalité de la Mairie de Paris et le mutisme du rectorat ne sont plus tolérables», explique Jérôme Lambert, virulent secrétaire départemental du syndicat et porte-drapeau de la contestation enseignante dans la capitale, où la mise en place de la réforme dès cet été a été vécue comme un passage en force et un geste politique de Bertrand Delanoë. Depuis la rentrée, le syndicat dénonce une réforme inadaptée à la maternelle et déstabilisante pour l'ensemble des écoliers, avec une confusion des temps scolaires et périscolaires. Au niveau national, la grève sera moins importante avec 25% de participation annoncés, l'appel émanant de la CGT, FO, SUD et la FAEN, syndicats minoritaires chez les enseignants (15% au total). Pour l'heure, le puissant SNUipp s'abstient de toute consigne nationale. Mais, pressé par sa base, il pourrait bien basculer dans la contestation ouverte si le ministre n'ouvrait pas la porte au dialogue. «La question d'une grève nationale début décembre est d'ores et déjà clairement posée», a-t-il menacé le 6 novembre.
Épreuve du terrainLe consensus de façade a donc volé en éclats à l'épreuve du terrain, exercice classique auquel tout ministre de l'Éducation est appelé à se prêter… Le constat est d'autant plus amer pour l'actuel ministre que cette réforme ne concerne que 17% des communes. Dans ce contexte explosif, tous les yeux sont tournés vers le congrès des maires qui se tiendra du 18 au 21 novembre à Paris. En amont, la fronde des élus de droite s'organise. Le 12 novembre, un collectif d'une cinquantaine de maires d'opposition a appelé au boycott du décret Peillon. Attitude taxée mercredi de «petite délinquance civique» par Vincent Peillon. De son côté, Jean-François Copé, patron de l'UMP, a lancé l'offensive, en annonçant qu'il allait réunir 400 élus le 19 novembre, avant le discours de Jean-Marc Ayrault devant les maires de France. Lors du congrès 2012, François Hollande avait choisi de lâcher du lest aux élus, en leur laissant une année supplémentaire pour mettre en place les nouveaux rythmes. Une décision qui avait largement entamé la crédibilité du ministre de l'Éducation et de sa réforme.
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«Les parents sont en colère car ils se heurtent à un mur»__________________________________________________________________________________________________________
Valérie Marty, présidente de la PEEP
- «À la base, il y avait une envie de tous de réformer les rythmes. Mais avec Vincent Peillon, les choses ont dérapé dès sa prise de fonction lorsqu'il a annoncé, sans discussion, le retour de la semaine de quatre jours et demi. Il n'y a eu ni dialogue ni consensus sur la question. Dans le cadre de la concertation sur la refondation de l'école, menée à l'été 2012, l'atelier consacré aux rythmes a viré au pugilat. Même les chronobiologistes n'étaient pas d'accord entre eux. Au bout du compte, on arrive à un décret à la fois mal ficelé et autoritaire. Aujourd'hui, les parents sont en colère car ils se heurtent à un mur. Ils expliquent que la réforme engendre une fatigue supplémentaire, que les ateliers périscolaires ne sont pas satisfaisants et personne ne les écoute. Les parents veulent être entendus! Mais M. Peillon ne semble ni souple, ni très ouvert, ni même bienveillant. Le premier ministre pourra peut-être lui faire entendre raison… Il faut suspendre la réforme en maternelle, où elle se révèle inadaptée, et revoir le décret dans le sens de davantage de souplesse en élémentaire. Au lieu de réduire le temps scolaire de 45 minutes en moyenne tous les jours, pourquoi ne pas libérer une après-midi?»
«Il est urgent de se remettre autour de la table»
Sébastien Sihr, Secrétaire général du SNUIPP
- «Vincent Peillon serait bien inspiré de comprendre ce qui se cache derrière les grèves et les rassemblements. La réforme des rythmes agit comme le révélateur de la fatigue professionnelle des enseignants. Cela fait des mois que nous demandons au ministre une table ronde avec tous les acteurs concernés. Le SNUipp ne souhaite pas un statu quo mais un assouplissement du décret. Les nouveaux rythmes, imaginés de la Rue de Grenelle comme si toutes les écoles de France étaient les mêmes, sont particulièrement inadaptés dans les zones rurales. Je rappelle qu'avant la réforme Darcos de 2008, qui a instauré la semaine de quatre jours, les calendriers scolaires n'étaient pas identiques. 75% des écoles étaient aux quatre jours et demi et 25% aux quatre jours. Ces dernières rattrapaient sur les vacances. Pourquoi n'est-ce plus possible aujourd'hui? Nous avons fait le calcul: une semaine de quatre jours, à raison de 5h30 quotidiennes, cela correspond à treize jours de vacances en moins. Il est urgent de se remettre autour de la table pour assouplir ce décret corseté et préparer une rentrée 2014 sereine.»
«Il n'a jamais pensé que ce serait une partie de plaisir»
Claude Lelièvre, historien de l'éducation
- «Il ne faut pas refaire l'histoire. Contrairement à ce que l'on veut faire croire, il n'y a jamais eu de consensus sur le dossier des rythmes scolaires. Si syndicats d'enseignants, parents et fonctionnaires de l'éducation nationale s'entendent pour dire que la suppression du samedi matin, actée en 2008, a mené à une situation intenable, ce consensus se fissure dès que l'on gratte. En 2009, les sondages montraient que si les Français étaient globalement favorables à une réforme, une très légère majorité d'enseignants et de parents du primaire y étaient opposés. Vincent Peillon savait tout cela. Il n'a jamais pensé que cette réforme serait une partie de plaisir. Pour la mettre en œuvre, il pouvait réduire les grandes vacances ou toucher à la journée en diminuant le nombre d'heures quotidiennes pour les redistribuer. C'est cette seconde solution, jamais expérimentée et mettant les élus à contribution, pour laquelle il a opté. Le plus mauvais choix politique, mais sans doute le plus responsable d'un point de vue éducatif. Désormais, tout va se jouer au prochain congrès des maires. Le premier ministre va-t-il rester ferme? S'il faisait le choix plus mou de laisser une année supplémentaire, la réforme serait emportée. Et Peillon ne pourrait l'accepter.»