Jamel Administrateur
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| Sujet: Le Nobel de littérature décerné à Alice Munro, reine de la nouvelle Ven 11 Oct - 7:02 | |
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Le Nobel de littérature décerné à Alice Munro, reine de la nouvelle
Le 10.10.2013 à 13h13 • Mis à jour le 11.10.2013 à 07h26 | Par Raphaëlle Leyris
Alice Munro en 2002. "Petites gens, grands sentiments" : c'est ainsi que Peter Englund, secrétaire perpétuel du Comité Nobel, a résumé l'œuvre d'Alice Munro, après l'attribution du prix Nobel de littérature 2013 à cette Canadienne de 82 ans, "maître contemporain de la nouvelle". La récompense arrive comme un point d'orgue sur une carrière à laquelle l'écrivain avait affirmé, en juin dernier, mettre un point final en déclarant qu'elle n'écrirait "probablement plus".
Ce statut de retraitée des lettres semblait la disqualifier dans la course au prestigieux prix. Tout comme celui de nouvelliste ne s'étant jamais aventurée dans des textes plus longs. Dans Trop de bonheur, son plus récent recueil traduit en français, au printemps (L'Olivier), elle s'amuse encore de la piètre estime dans laquelle sa forme de prédilection est tenue : "Un recueil de nouvelles. Voilà qui en soi était déjà une déception. L'autorité du livre en paraît diminuée, cela fait passer l'auteur pour quelqu'un qui s'attarde à l'entrée de la littérature, au lieu d'être assurément installée à l'intérieur."IMAGES FRAPPANTES
Mais, "à l'intérieur" de la littérature, Alice Munro l'est assurément avec ses textes merveilleusement ciselés, aux images frappantes. Ainsi, dans Fugitives (L'Olivier, 2008), elle note qu'un homme a la peau du visage épaisse "comme la surface du lait tourné", ou elle écrit encore : "C'était donc cela, le chagrin. Elle a l'impression qu'un sac de ciment déversé en elle a rapidement durci."La plupart des nouvelles de ses quatorze recueils publiés (dont Amies de ma jeunesse, Albin Michel, 1992 ; Les Lunes de Jupiter, Rivages, 1995 ; Un peu, beaucoup, pas du tout, Rivages, 2004 ; Du côté de Castle Rock, L'Olivier, 2009) ont pour décor les environs du lac Huron, dans l'Ontario, là où elle-même est née Ann Laidlaw, le 10 juillet 1931, d'un père agriculteur et d'une mère institutrice. Admirateur inconditionnel de son œuvre, l'écrivain américain Jonathan Franzen a fait paraître en 2004 un texte intitulé "Lisez Munro ! Lisez Munro !", dans lequel il résume ainsi les intrigues de la Canadienne : - Citation :
- "L'histoire [qu'elle] raconte inlassablement" : "une fille intelligente, avide de sexualité, grandit dans l'Ontario rural, sans fortune, sa mère est malade ou morte, son père est un instituteur qui a des problèmes avec sa seconde femme et, dès qu'elle le peut, la fille s'échappe vers l'arrière-pays grâce à une bourse d'études ou un acte intéressé et décisif. Elle se marie jeune, s'installe en Colombie-Britannique, élève des enfants et divorce avec quelques torts sur la conscience. (...) Quand, inévitablement, elle retourne en Ontario, elle découvre que le paysage de sa jeunesse a bizarrement changé. Bien que ce soit elle qui ait fui, elle ressent une blessure narcissique en voyant qu'elle n'est pas chaleureusement accueillie – que le monde de sa jeunesse (...) juge sévèrement ses choix modernes. Pour avoir simplement tenté d'exister en tant que personne entière et indépendante, elle a perdu gros, elle s'est disloquée ; elle a causé des dégâts." (traduit par Francis Kerline, dans Le Magazine littéraire d'août 2013).
"UNE VASTE FUMISTERIE"Personne n'irait reprocher à Alice Munro de recourir régulièrement au même schéma narratif, tant elle le polit. Tant, de cette simplicité apparente, elle fait jaillir des textes à la complexité morale et à la subtilité littéraire admirables, depuis ses débuts, en 1968, avec La Danse des ombres heureuses (Rivages, 2004). Celui-ci lui avait valu de recevoir d'emblée le Governor's General Literary Award, le plus prestigieux prix littéraire canadien. Révérée dans son pays, unaniment admirée par ses pairs, de Jonathan Franzen à Joyce Carol Oates et Richard Ford, cette femme discrète qui fuit la lumière ne s'exprime que pour dire avec distance et humour : "Je ne m'affiche jamais en public comme écrivain, ce serait une vaste fumisterie." Le temps est peut-être venu, pourtant, de s'y résoudre. | |
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