L'Egypte plonge dans le tout sécuritaire

Le tourisme en chute libre et les hôtels sous haute surveillance

l’Egypte plonge dans le tout sécuritaire

Publié le 09.10.13 | 10h00



L’Egypte de 2013 est l’Algérie des années 1990, le parallèle est inévitable. A Taba, les touristes sont confinés dans les hôtels avec pour seules sorties autorisées la Jordanie ou… plonger pour admirer les fonds marins. Leurs visas ne leur permettent pas de quitter le Sinaï.

Dehors, il n’y a pas de dehors à Taba. Ni de rue. Pour sortir des hôtels 5 étoiles, il faut prendre la mer. Direction la Jordanie ou… les fonds marins. Tourner le dos à la montagne du Sinaï. Aller au Caire ? «Impossible, il y a trop de contrôles. Il faut dix heures de route et un visa délivré par le gouvernorat.» Avant la Révolution, les Frères musulmans et à nouveau la Révolution (en attendant la prochaine», il fallait cinq heures. Une virée dans le désert somptueux du Sinaï ? «Impossible, il n’y a plus d’excursions, ce n’est pas très calme.» Euphémisme. Et le monastère Sainte-Catherine : «Même pas, impossible, aucune sortie aucune virée.» Trois «impossible» pour trois questions.

Rester à l’hôtel, l’extérieur n’existe plus. Les révolutions arabes enferment les horizons. Tout se passe désormais à huis clos. Comme un monde plein de futures promesses enfermé dans des frontières nationales. Le rêve a atteint ses limites, rattrapé par un réel pileux ou galonné, l’imam ou le général.

Les touristes sont autant surveillés que les oléoducs. Cette frilosité - ou vigilance, selon - prend ses racines dans plusieurs traumatismes. Le présent incertain et le passé pas encore décomposé. En 2004, Al Qaîda voulait frapper les intérêts vitaux de l’Egypte, en visant son talent d’Achille : le tourisme. L’organisation d’Ayman Al Zawahiri cherchait une action d’éclat au retentissement international et punir le régime de l’ancien raïs Moubarak. L’hôtel Hilton comme cible, 34 touristes tués. Du jour au lendemain, tous les hôtels se sont vidés d’un coup. Aujourd’hui convalescent, le tourisme ne peut se permettre un autre attentat de cette ampleur, d’où les mesures draconiennes de sécurité. Pour les autorités, l’état du malade nécessite bien ce traitement radical. Les attentats se multiplient dans le Sinaï. Pour l’instant, seules les forces de l’ordre sont visées.

Dehors, donc !? Il existe bien, mais il est confiné à l’intérieur ! Un dehors dedans, un extérieur intérieur. Taba Heights est un espace de 20 km2, composé de cinq hôtels, d’un terrain de golf, d’une petite marina et d’une petite ville, sorte de Disneyland. El Wakala, comme son nom ne l’indique pas, vend des souvenirs, vrais ou faux. Une ville fantôme où se succèdent les boutiques. Fantôme, parce que les vendeurs s’assoient à même l’entrée, désespérant de voir un touriste. «Vous êtes les premiers de la journée (21h)», se lamente le propriétaire d’un magasin de fioles, grande spécialité locale. «Prenez ce que vous voulez, je vous le fais à un euro», mi-sérieux mi-ironique.

L’Egypte de 2013 est l’Algérie de 1990, le parallèle est inévitable. Des îlots «bunkerisés», l’insécurité endémique - ou résiduelle, selon - la guerre loin et présente. L’Algérie des généraux avait le pétrole, l’Egypte du général Sissi le tourisme. Le pétrole flambe encore, le tourisme surveille la bourse aux attentats. Rouge écarlate. Tous les tour-opérateurs soldent les séjours à moitié prix. La clientèle demeure peu sensible à l’argument commercial, attendant un retour hypothétique de la sécurité et l’issue du combat entre le régime du général Sissi et les Frères musulmans. Car ce combat aura un vainqueur et un vaincu. L’heure n’est plus à la politique et aux négociations. Le parasitage de la célébration du 40e anniversaire de «la victoire d’Octobre» laissera des traces. L’armée égyptienne, qui tient sa légitimité de ce fait d’armes, sait que les Frères musulmans veulent la couper du peuple en la démystifiant de son aura, lui enlever sa popularité.
 
Rémi Yacine
© El Watan