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Le syndrome irakien hante la crise syrienne
Mis à jour le 30/08/2013 à 06:33 - Publié le 29/08/2013 à 18:31
Colin Powell, au Conseil de sécurité des Nations unies, le 5 février 2003. Alors secrétaire d'État dans le gouvernement Bush, il avait plaidé avec conviction en faveur d'une intervention en Irak.
Washington, Londres et Paris veulent laisser le temps aux inspecteurs de l'ONU de faire leur travail jusqu'au bout.
Après la spectaculaire accélération du début de semaine, le rétropédalage. Les trois puissances occidentales engagées sur le dossier des armes chimiques syriennes appuient sur le frein. Barack Obama temporise et fait savoir qu'il n'a «pas encore pris de décision». À Londres, David Cameron a décidé d'attendre les résultats de l'enquête menée par les inspecteurs de l'ONU. À Paris, l'Élysée affirme que les arbitrages seront faits «en temps voulu» et que la réponse militaire est «compliquée à construire».
Cette brusque décélération est en partie due à la volonté de calmer l'ours russe, dressé sur ses pattes arrière pour empêcher une action militaire contre le régime syrien. Obama et ses alliés européens ont en effet besoin de la coopération du Kremlin sur d'autres dossiers de politique internationale, le nucléaire iranien notamment. Elle est sans doute aussi liée à la figure de Barack Obama, personnalité à la fois hésitante et réticente à l'emploi de la force. Elle a enfin à voir avec la nécessité de promouvoir, parallèlement à l'utilisation de la force, une «solution politique» pour la Syrie. Mais elle est surtout associée au mauvais souvenir de la guerre d'Irak.
La prudence d'ObamaLes images de Colin Powell, le secrétaire d'État américain de George Bush, assurant - à tort - à la tribune des Nations unies, le 5 février 2003, disposer des preuves que le régime de Saddam Hussein détenait des armes de destruction massives, ont laissé des traces indélébiles. La parole de l'Administration américaine et des services de renseignements a été décrédibilisée dans le monde entier. «Depuis dix ans, les États-Unis ne sont plus assez crédibles pour pouvoir imposer leur vue grâce à leur autorité et leur réputation», écrit Anthony Cordesman, du Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS). Les opinions publiques et les gouvernements exigent de voir les preuves. «Le monde n'a plus forcément confiance dans le gouvernement. Nous devons montrer que nous ne répétons pas les erreurs de 2003», poursuit cet expert américain réputé.
L'ombre de l'Irak explique les difficultés du premier ministre britannique à imposer la décision américaine de punir le régime syrien. Elle nourrit les théories de la conspiration et les diatribes antiaméricaines qui flambent dans le monde musulman à chaque crise. Elle entretient la mauvaise humeur russe, mais aussi sa mauvaise foi, puisque Moscou incrimine, sans preuves, depuis le début de la crise, l'opposition syrienne, qu'elle tient pour responsable de l'attaque chimique dans la banlieue de Damas.
Ce ralentissement de l'histoire ne signifie pourtant pas un recul. Les préparatifs militaires se poursuivent. L'armée britannique a déployé six avions de chasse à Chypre. Une frégate française a quitté Toulon pour rejoindre la Méditerranée orientale. Mais il s'agit de redoubler de prudence. «Toute erreur, toute exagération des faits dans le premier rapport officiel qui sera publié à Washington, aura de graves conséquences sur la crédibilité du gouvernement américain dans le futur. Cette fois, nous devons avoir raison au premier coup, nous éloigner de la propagande et de l'émotion», analyse Anthony Cordesman. Il s'agit aussi de permettre aux alliés d'avancer unis, de la manière la plus consensuelle qui soit. À cet égard, la présence aux côtés des États-Unis de la France, qui s'était opposée à la guerre en Irak de façon virulente, conservant ainsi intacte sa réputation internationale, est lourde de sens politique.
Les autorités américaines ont donc décidé de laisser les inspecteurs de l'ONU faire leur travail jusqu'au bout. Même si leurs services secrets affirment disposer de preuves suffisantes - écoutes téléphoniques et photos aériennes - pour désigner le régime syrien. Et même si les enquêteurs onusiens sont sans doute «manipulés», victimes d'une partie de «poker menteur», selon les mots d'un responsable français, qui pense que le régime syrien a tout fait pour effacer les traces du massacre chimique. Seul ce processus permettra d'obtenir le mutisme de Moscou. Et l'assentiment des principaux pays du Golfe.