Les manifestations ne s’essoufflent pas au Maroc : l’affront au roi Mohammed VI
Publié le 10.08.13 | 10h00
La rue ne décolère pas au Maroc depuis le scandale du Galvagate. Plusieurs centaines de personnes ont à nouveau manifesté, mercredi soir à Rabat, contre la grâce accordée au début de la semaine dernière par le roi Mohammed VI à Daniel Galvan, un pédophile espagnol, condamné par la justice marocaine à 30 années de prison pour des viols sur onze mineurs âgés de 4 à 15 ans.Ce rassemblement s’est déroulé devant le Parlement, là même où une première manifestation d’envergure avait été violemment réprimée vendredi dernier, renforçant le mouvement d’indignation. Mardi soir, plus de 2000 personnes avaient également manifesté à Casablanca, plus grande ville du Maroc. Les slogans scandés et les pancartes brandies mercredi appelaient à une totale transparence sur les raisons de la présence de Daniel Galvan dans la liste des 48 prisonniers espagnols graciés par Mohammed VI. Comme à Casablanca, des bougies ont été allumées en hommage aux victimes du pédophile, un homme âgé d’une soixantaine d’années.
Dans un geste d’apaisement, le souverain marocain avait reçu tôt dans la journée de mardi les familles des enfants victimes du pédophile espagnol, afin de témoigner de sa «compassion» et de son «empathie». Le palais royal avait en outre assuré que le souverain ignorait tout des «crimes abjects» commis par Daniel Galvan au moment de sa grâce. Ce geste «royal» qui est intervenu après l’annulation de la «grâce royale» et la révocation du directeur de l’administration pénitentiaire n’a cependant pas suffi à calmer la colère de la population qui demande désormais la mise en place d’«une monarchie constitutionnelle» et d’«une justice indépendante». Les manifestants ont fait savoir qu’ils continueront à battre le pavé jusqu’à ce qu’ils soient entendus.
Un roi plus royaliste que le roiLes Marocains disent ne plus vouloir continuer à subir le «diktat» d’un roi qui ne cherche qu’à s’en mettre plein les poches et à plaire aux Occidentaux. La rue marocaine retient en effet que la monarchie n’a pas hésité à «mentir» aux Marocains et à «blanchir» un violeur d’enfants «au nom de l’excellence des relations entre Rabat et Madrid». Or, les Espagnols n’en demandaient pas tant. Les événements de ces derniers jours montrent que l’affaire «Daniel Galvan» a profondément choqué l’opinion marocaine. Plus que cela, les Marocains se sont sentis humiliés et déshonorés par la décision royale. L’indignation a été d’autant plus forte que le royaume a connu au cours des derniers mois diverses affaires de pédophilie et qu’aucune excuse officielle n’a été faite.
Se disant également outré au plus haut point, le collectif marocain des instances des droits de l’homme a décidé par ailleurs de poursuivre pénalement le ministre de l’Intérieur, Mohand Laenser, suite à l’intervention musclée des forces de l’ordre le 2 août pour disperser le sit-in de protestation organisé par la population. Le collectif, qui regroupe 18 associations, a déjà entamé la procédure en déposant sa plainte le 8 août, auprès du procureur général de la Cour de cassation à Rabat. Vendredi dernier, plusieurs manifestants, dont des militants associatifs et des artistes, avaient été blessés, dont certains grièvement, suite à l’intervention très violente de la police.
De son côté, la justice espagnole a finalement décidé d’envoyer en prison préventive le pédophile gracié au Maroc puis arrêté lundi en Espagne, en attendant de se prononcer sur une éventuelle extradition vers le royaume. Sous la pression de la rue et pour tenter de rattraper le coup, le roi Mohammed VI s’était en effet empressé d’annuler dimanche dernier la grâce de Daniel Galvan. Le Maroc a ensuite lancé un mandat d’arrêt international contre le pédophile, qui avait entre-temps regagné l’Espagne.
L’embarras de l’EspagneDaniel Galvan retournera-t-il vraiment dans les geôles marocaines comme le souhaite Mohammed VI ? Peu probable. Un haut fonctionnaire espagnol a jugé possible que Galvan purge finalement sa peine en Espagne. «De fait, c’est une possibilité qui semble assez raisonnable. Si cette personne n’avait pas été graciée par erreur, elle effectuerait actuellement des démarches pour purger sa peine en Espagne», a déclaré Angel Llorente, directeur de la Coopération internationale au ministère espagnol de la Justice.
Par ailleurs, la convention d’extradition entre l’Espagne et le Maroc prévoit que chacun de ces pays ne peut extrader ses ressortissants vers l’autre. L’annulation d’une grâce est de surcroît une situation atypique en Espagne, puisque dans ce pays le gouvernement ne peut décider d’une telle mesure. En tout cas, c’est sur ces différentes questions que devra se pencher dans les semaines qui viennent l’Audience nationale, avant qu’un collège de trois juges ne se prononce sur une éventuelle extradition. D’un autre côté, le roi joue – dans cette affaire sordide – sa crédibilité. Une crédibilité qui, faut-il le dire, est déjà largement entamée.
S’agissant du pédophile, des informations ont filtré dans la presse le dépeignant comme un homme au passé trouble, identifié par certains comme un espion d’origine irakienne. Selon le journal El Pais, Galvan avait raconté à son avocat marocain être un ancien responsable de l’armée irakienne et avoir collaboré avec les services secrets étrangers pour renverser Saddam Hussein. Pour le quotidien espagnol, le nom de Daniel Galvan peut être «l’identité que lui ont fabriquée les services secrets quand ils l’ont fait sortir d’Irak, lui ont fourni des papiers espagnols et l’ont transformé en un professeur de l’université de Murcie à la retraite». Le pédophile avait en effet travaillé dans cette université, comme stagiaire puis sous contrat, entre 1996 et 2002.
Inutile donc de dire que l’affaire a aussi suscité l’embarras en Espagne, où la maison royale a expliqué n’avoir participé à l’élaboration d’aucune liste de prisonniers. Bref dans cette histoire, tout le monde aura nagé en eaux troubles.
Zine Cherfaoui
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