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Mort du journaliste et écrivain Michel-Antoine Burnier
Le 28.05.2013 à 16h54 • Mis à jour le 28.05.2013 à 16h55 Michel-Antoine Burnier a été proche de Jean-Paul Sartre, Bernard Kouchner ou encore Patrick Rambaud (ici le 15 octobre 1982).
Michel-Antoine Burnier, mort le 27 mai à Paris à l'âge de 71 ans, flambé par un cancer qu'il a combattu avec une bravoure à l'antique, était un intellectuel à la forte présence et aux talents variés, à commencer par celui de journaliste : il laissait pour consigne que ce soit moi qui écrive sa nécrologie dans Le Monde et son ami Léon Mercadet dans Libération.
FERVENT SARTRIENNé le 2 mai 1942 à Chambéry (Savoie), il était entré dans la vie culturelle à 24 ans avec un petit livre,
Les Existentialistes et la politique (Gallimard, 1966), analyse précise et réfléchie du rôle de la revue
Les Temps modernes dans le développement d'une conscience de gauche. Fils d'un notaire de Chambéry et élevé dans un catholicisme rigoureux, il s'en était libéré à 15 ans par la lecture de Jean-Paul Sartre. Sorti de khâgne au lycée du Parc à Lyon avec une solide culture philosophique, il entra à Sciences Po à Paris, toujours fervent sartrien, se désolant de n'être pas aussi petit que son modèle et de ne pas loucher comme lui, mais adoptant, pour compenser, sa voix sonore et ses attitudes.
Il fut porteur de valises pour le réseau Jeanson et le FLN mais déchanta devant le tour autoritaire de l'Algérie indépendante. Une vive amitié le liait à son cousin Frédéric Bon, avec qui il écrivit
Les Nouveaux Intellectuels (1966) et
Classe ouvrière et Révolution (1971). Mais son tour d'esprit littéraire l'incita aussi à publier avec son ami Bernard Kouchner, connu en militant à l'Union des Etudiants communistes et à la rédaction du magazine
Clarté, un récit intitulé
La France sauvage (1970) et une tragédie en vers,
Les Voraces (1974). Suivirent, en collaboration avec Patrick Rambaud, les romans historiques
Les Complots de la liberté (1975) et
1848 (1977).
AVEC FÉROCITÉ ET GÉNÉROSITÉCependant c'est le journalisme qui le tentait. En 1966, Emmanuel d'Astier de La Vigerie, grand résistant ayant perdu le journal
Libération, fit appel à lui et à Bernard Kouchner pour diriger la rédaction de son nouveau mensuel
L'Evénement. Il apprit ainsi le métier à bonne école. La grande affaire de sa vie professionnelle fut
Actuel, le périodique de la contre-culture importée des Etats-Unis par Jean-François Bizot. Burnier en fut le rédacteur en chef jusqu'en 1996 avant de le quitter pour co-diriger un temps la rédaction de
L'Express avec Christine Ockrent. A
Actuel, il récrivait inlassablement les papiers des autres, leur apprenant le métier avec férocité, générosité et entrain.
Il fut ainsi bien armé pour écrire plus tard, toujours avec Patrick Rambaud,
Le Journalisme sans peine (Plon, 1997) où les deux compères traquaient les tics des journalistes paresseux. Les deux multiplièrent les parodies avec talent et succès :
La Farce des choses (1977),
Le Roland-Barthes sans peine (1978), dont il fut dit qu'il affligea l'auteur des
Fragments d'un discours amoureux. Il donna à
Libération des articles politiques en alexandrins.
Burnier était un fervent de Voltaire, pensée et style. Il honnissait Rousseau, admirant l'écrivain mais tenant le penseur pour l'inspirateur du jacobinisme et du socialisme stalinien.
Politiquement, il se définissait comme un girondin et un social-démocrate conséquent, ayant de l'estime pour peu de politiques en dehors de Michel Rocard. Après la mort de Sartre, dont il n'avait pas suivi la dérive gauchiste tout en lui gardant admiration et affection, il écrivit, pour prendre congé politiquement,
Le Testament de Sartre (1982), dans le style des
Mots.
RIEN AUTANT QUE LA LIBERTÉJe le connaissais depuis les années 1960, il m'avait aidé pour
Les Ecrits de Sartre (1970) en mettant à ma disposition sa collection d'articles du philosophe ; il ne m'en voulut pas d'avoir rendu compte de son livre avec sévérité dans
Le Monde. Nous collaborâmes ensuite avec allégresse au scénario du téléfilm
Sartre, l'âge des passions, tourné par Claude Goretta, et dont nous tirâmes un livre,
Sartre, roman (Grasset, 2006). Nous écrivîmes aussi ensemble
Quartier Latin, téléfilm tourné par Michel Andrieu pour France 2 et non encore diffusé. C'était un ami fidèle, d'une extrême vivacité dans la conversation, passant de la politique à la philosophie, de la littérature à l'histoire avec une étourdissante virtuosité, multipliant les anecdotes piquantes, improvisant les traits d'esprit. Il a consacré une grosse biographie à Bernard Kouchner qu'il avait tenté de dissuader d'entrer au gouvernement sous Sarkozy. Mais il ne prisait rien autant que la liberté de ses amis.
Un pamphlet drolatique,
Que le meilleur perde (1992), écrit avec Frédéric Bon, connut des rééditions mises à jour sur un thème jamais démenti (les politiques poursuivent la défaite par crainte des responsabilités), et sa propre
Histoire du socialisme (1977) fut aussi régulièrement tenue à jour. Il avait consacré à sa fille Eve l'
Histoire d'un père de cinquante ans qui ne voulait pas avoir d'enfant (1993) et écrit avec sa femme Cécile Romane un pamphlet contre l'abbé Pierre (1998). Son dernier ouvrage, écrit avec Léon Mercadet et paru en février, fut une uchronie,
Il est midi dans le siècle (Robert Laffont), ou l'histoire telle qu'elle se serait déroulée si le train blindé qui ramenait Lénine de Suisse à Moscou avait déraillé en Allemagne par la faute d'un aiguilleur pris de boisson.